Risque médico-juridique des infiltrations en rhumatologie
Margaux DIMA, Juriste expert en prévention des risques, MACSF-Le Sou Médical
Dr Christian AUGAREILS, Rhumatologue, Clinique Pasteur, Toulouse
L’une des activités du service Gestion des Risques de la MACSF consiste à analyser le risque médico-juridique propre à différentes spécialités médicales ou chirurgicales. En ce sens, il a été créé un Observatoire du risque médico-juridique en rhumatologie. Il s’agit d’une base de données répertoriant les réclamations patients enregistrées à la MACSF, impliquant un médecin rhumatologue sur une période déterminée (ici 5 années), quel que soit le type de procédures (civil, pénal, amiable…) et l’issue (favorable, défavorable ou sans suite).
L’objectif de cet Observatoire est de dégager des tendances statistiques sur le risque médico-juridique en rhumatologie. Il permet également de mettre en évidence des récurrences sur les motifs de réclamations, objectivant des vulnérabilités dans les process de prise en charge, et permettant ainsi aux professionnels de santé de mettre en place des actions de prévention et de sensibilisation à ces risques (individuelles et/ou collectives).
L’Observatoire a ainsi mis en avant 59 réclamations impliquant une infiltration réalisée par un médecin rhumatologue sur un échantillon de 114 réclamations enregistrées de 2015 à 2019. Plus de la moitié implique donc une infiltration. Retour sur quelques données chiffrées propre à cet évènement indésirable.
Ce qui est légitime puisque c’est le geste le plus souvent réalisé par les rhumatologues.
Quelles sont les principales zones traitées concernées par les infiltrations contestées ?
Les infiltrations sur le membre inférieur génèrent le plus de réclamations (34) suivie des infiltrations sur le rachis (13) puis sur le membre supérieur ? (12).
Les infiltrations du membre inférieur sont celles qui sont le plus pratiquées suivies du rachis puis du membre supérieur.
Le membre inférieur concentre plus de la moitié des réclamations avec un nombre important de dossiers impliquant une infiltration sur le genou (25) et sur les hanches (5). Dans une moindre mesure, sont également mises en causes des infiltrations sur les fesses (2), la cuisse (1) et la cheville (1).
S’agissant du membre supérieur, on retrouve des dossiers d’infiltrations sur la main (6), sur l’épaule (5) et sur le thorax (1).
A noter, que les trois principaux médicaments retrouvés dans ces dossiers concernent la visco supplémentation, l’Atim® et le Diprostène®.
Le déremboursement de l’acide hyaluronique entrainera vraisemblablement une baisse de problèmes inhérents à l’utilisation de ce produit.
Quels sont les principaux évènements indésirables retrouvés dans les dossiers impliquant une infiltration ?
Le motif de réclamation correspond à l’évènement indésirable à l’origine d’un préjudice pour le patient suite à un acte de soins.
Dans une large majorité des cas, le patient estimant être victime d’un dommage suite à une infiltration engage une procédure pour un des trois motifs suivants :
– Infection associée aux soins (27). Sans surprise, l’infection associée aux soins concentre près de la moitié des réclamations. S’il apparaît compliqué d’éliminer la totalité des bactéries résidant dans les couches profondes de l’épiderme avant d’effectuer une infiltration, il est primordial de réaliser une infiltration (en cabinet ou en établissement de santé) dans des conditions d’asepsie optimale, selon les règles définies par les sociétés savantes.
– douleurs résiduelles (13),
– séquelles neurologiques (7).
De manière moins significative, les patients reprochent également au médecin rhumatologue des ruptures tendineuses (3), des pneumothorax (2) ou encore des chutes consécutives aux soins (2). A noter également 1 dossier de séquelles ophtalmologiques, 1 dossier de séquelles vasculaires, 1 dossier d’erreur diagnostic, 1 dossier d’iatrogénie médicamenteuse et 1 dossier de lipolyse du deltoïde.
Quelle est la typologie des réclamations liées à une infiltration ?
- Quelques rappels sur les responsabilités
La responsabilité encourue par le médecin rhumatologue dépend de l’objectif poursuivi par le patient s’estimant victime d’un dommage, son représentant légal ou ses ayants-droit en cas de décès.
– Si l’objectif du patient est purement indemnitaire, c’est-à-dire qu’il souhaite obtenir une somme d’argent en réparation du préjudice subi, deux voies sont possibles.
D’abord, il peut choisir la voie amiable. Il peut alors envoyer un courrier de réclamation directement au praticien ou à son assureur ou envisager la saisine d’une Commission de conciliation et d’indemnisation (CCI). Ces commissions, créées par la loi Kouchner du 04/03/2002, sont de plus en plus saisies par les patients car elles présentent l’avantage d’être gratuites et rendent leur avis dans des délais relativement « courts ».
Le patient peut également opter pour la voie judiciaire. On parle alors de responsabilité civile si le praticien exerce à titre libéral ou salarié et de responsabilité administrative si le médecin est praticien hospitalier. Il convient de garder à l’esprit que, sauf exceptions, cette responsabilité nécessite que trois conditions cumulatives soient réunies : une faute du médecin, un préjudice pour le patient et un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice.
Une procédure judiciaire ne s’achève pas nécessairement par une décision de justice, le patient formulant sa réclamation en principe en deux temps avec une demande d’expertise devant le juge des référés puis une demande d’indemnisation devant le juge du fond. Très souvent, il abandonnera ses poursuites à l’issue de la 1ère étape lorsque les experts n’auront retenu aucune faute susceptible d’engager la responsabilité du praticien.
– Si l’objectif du patient est que le médecin soit sanctionné pour un comportement dangereux ou illicite, deux voies sont envisageables.
D’abord, le médecin risque de voir sa responsabilité pénale engagée : ce qui est sanctionné c’est l’infraction aux dispositions du code pénal. Que le médecin ait contribué directement ou indirectement à la réalisation du dommage, sa responsabilité pourrait, par exemple, se trouver engagée au titre de blessures ou d’homicide involontaires ou encore d’une violation du secret professionnel. Enfin, le médecin peut voir engagée sa responsabilité disciplinaire devant le Conseil de l’Ordre dont le rôle est de sanctionner les manquements à la déontologie et aux règles et obligations professionnelles.
- Quelle est la typologie des réclamations patient consécutives à une infiltration ?
C’est très majoritairement la responsabilité indemnitaire des médecins rhumatologues qui est recherchée dans les dossiers d’infiltrations : dans 23 dossiers les patients ont saisi la voie amiable, dans 20 dossiers ils ont saisi les Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) et dans 15 dossiers ils ont engagé une procédure devant les juridictions civiles.
Les réclamations des patients sont donc principalement amiables et orientées vers l’obtention d’une compensation financière en réparation du ou des préjudices subis qu’ils estiment en lien de causalité direct et certain avec l’infiltration réalisée par le médecin rhumatologue.
En revanche, les médecins rhumatologues n’ont fait l’objet d’aucune poursuite devant les juridictions pénales suite à un acte d’infiltration probablement parce qu’il s’agit de médecine fonctionnelle exposant peu le patient de manière directe et certaine à un risque grave engageant son pronostic vital alors que la voie pénale est plus communément retenue en cas de blessures majeures ou de décès.
A noter cependant une procédure disciplinaire devant le Conseil de l’Ordre des médecins impliquant un médecin rhumatologue ayant réalisé une infiltration sous échographie d’une tendinite de l’épaule. Dans les suites, la patiente lui reprochant une rupture tendineuse ayant aggravé son état a engagé une procédure devant le Conseil de l’Ordre. Un PV de non conciliation ordinale a été rendu. La patiente ayant été informée du fait que la rupture tendineuse est l’évolution naturelle possible de la déchirure initialement présentée et ayant nécessité l’infiltration a retiré sa plainte.
Quelle est l’issue des réclamations impliquant une infiltration ?
S’agissant des infiltrations, nous considérons que 51 dossiers ont évolué favorablement pour nos sociétaires, soit parce que le dossier ne connaît aucune suite, soit parce que le rhumatologue est mis hors de cause, soit après dépôt d’un rapport d’expertise favorable pour le praticien sans suite de la procédure par le patient.
A l’inverse, seulement 4 dossiers ont évolué défavorablement soit par condamnation judiciaire (1), soit en raison d’un avis CCI défavorable (1). Avec l’accord de nos sociétaires, 2 dossiers ont également été transigés à l’amiable suite au dépôt d’un rapport d’expertise amiable ou judiciaire défavorable risquant d’évoluer vers une poursuite de la demande indemnitaire.
A noter également, 1 « dossier à risque », pour lequel un rapport d’expertise défavorable a été rendu et est en attente d’un jugement civil.
Les 3 dossiers restants sont « en cours », en attente d’organisation d’une expertise.
Quels sont les principaux manquements retenus contre nos sociétaires rhumatologues suite à une infiltration ?
Pour cette thématique spécifique des infiltrations, nous relevons 4 dossiers dans lesquels un manquement a été retenu à l’encontre de notre sociétaire rhumatologue :
- 2 dossiers de retard diagnostic
- 1 dossier de défaut de prise en charge
- 1 dossier de défaut d’asepsie en amont de l’infiltration
Un exemple de dossier fautif : retard diagnostic d’un pneumothorax suite à une infiltration de la bourse sous acromiale
Une patiente présentant une polyarthrite de l’épaule droite consulte un rhumatologue pour une infiltration au niveau de la bourse acromiale.
30 minutes après sa sortie du cabinet, elle contacte le praticien pour une dyspnée brutale. La secrétaire qui reçoit l’appel la rassure en lui disant que cette sensation est courante et sans gravité.
Le lendemain, devant la persistance des symptômes, la patiente appelle de nouveau le cabinet. Le praticien prescrit un angioscanner en urgence : un pneumothorax droit complet sans bulle pleurale est diagnostiqué et rapidement pris en charge.
La patiente engage une procédure amiable. Une expertise amiable contradictoire est réalisée. L’expert n’émet aucune critique sur le geste technique effectué et relève les bonnes conditions d’asepsie. En revanche, il met en avant un retard évident de diagnostic et de prise en charge du pneumothorax par le médecin rhumatologue. Suite à ce rapport d’expertise défavorable et avec l’accord de notre sociétaire, ce dossier a été transigé à l’amiable.
La conclusion du Dr Augareils : Globalement, on remarquera qu’il y a peu de plaintes suivies aux vues du nombre d’actes réalisés par les rhumatologues français.